Dossier carbamate d'éthyle et spiritueux : quelles solutions pour l'exportation du rhum et de la cachaça ?
Un problème de mémoire sélective ?
L'essor que connaît le marché du rhum depuis plusieurs années est le résultat d'actions ingénieuses en termes de création marketing : brut de fût, vieux millésimes, single cask, séries limitées.... Le succès est tel qu'il devient même très difficile pour les créateurs de nouvelles marques de s'approvisionner, en particulier en ce qui concerne le rhum agricole.
Cette vague de premiumisation se traduit par une augmentation des prix généralisée et par conséquent, de la qualité. Mais l'industrie qui profite de cet engouement ne peut ignorer le besoin qu'éprouvent le consommateur d'être rassuré au sujet de ce qu'ils mettent dans leurs verres.
Ces derniers sont de plus en plus spécialistes, en particulier dans le monde du rhum. Par exemple, la question de l'ajout de sucre revient souvent dans les forums tout comme le bio, la traçabilité et l'authenticité qui sont autant de sujets d'intérêt pour ces nouveaux consommateurs.
Mais alors qu'on fait la chasse aux perturbateurs endocriniens et autres substances cancérigènes, la présence de carbamate d'éthyle dans le rhum pourrait revenir sur le devant de la scène. En effet, après avoir été au centre des préoccupations des distillateurs dans les années 80, période pendant laquelle furent initiées des recherches pour comprendre son apparition, le sujet est depuis tombé dans les oubliettes.
Voudrait-on oublier ce problème afin de ne pas jouer le trouble-fête ? On peut se poser la question à la lecture de l'article de Matt Strickland consacré au carbamate d'éthyle et rédigé en octobre 2019 : "It’s Time to Take Ethyl Carbamate Seriously Again" (distilling.com).
Le Canada et les USA ont depuis lors fixés des limites au-delà desquelles le rhum ne peut être commercialisé. Mais que se passerait-il si la réglementation venait à évoluer et devenir encore plus stricte ?
Encore une fois, la Spirits Valley peut répondre à ce challenge. Car elle héberge en son sein des techniciens possédant le savoir-faire nécessaire pour agir et permettre aux distilleries de s'adapter à la législation et aux attentes des consommateurs.
Petite histoire contemporaine du carbamate d'éthyle (1943-1986)
Le carbamate d'éthyle (CE), également connu sous le nom d'uréthane, est un composé présent dans les aliments tels que le pain, la sauce soja et les boissons fermentées (bière, vin, eaux-de-vie de vin, spiritueux à base de canne à sucre) et c’est un cancérigène reconnu.
Fait intéressant, Wikipedia nous apprend qu'avant 1943, il était utilisé comme médicament pour lutter contre le cancer jusqu'à ce qu'on découvre qu'il cause lui-même le cancer chez la souris de laboratoire. La plupart des pays cessent de l’utiliser sauf le Japon, jusqu'en 1975. Pendant cette période, on estime qu'environ 100 millions d'injections ont été administrées mais aucune étude n'a été réalisé pour évaluer ses effets sur les patients. De même, il fut utilisé comme tranquillisant aux Etats-Unis dans les années 50...
Au cours des années 1980, le carbamate d'éthyle devient une préoccupation majeure pour les distillateurs, les brasseurs et les vignerons en raison de sa découverte dans les spiritueux. En particulier dans le whisky et l'armagnac d'où les études les plus abouties ont vu le jour pendant cette décennie grâce aux professeurs Cook et Bertrand. Ce qui a amené les gouvernements à s'impliquer en imposant des limites réglementaires sur la quantité de carbamate d'éthyle autorisée dans les spiritueux.
Le Canada est le premier état à prendre le problème au sérieux, suite à des analyses portant sur les spiritueux à base de fruits à noyaux importés d'Allemagne dès 1986. Puis d'autres pays dont la Tchécoslovaquie vont reprendre le codex alimentarius canadien dans la foulée. Si la plupart des produits se situent en dessous du seuil autorisé aux USA (125 ppb* - limite volontaire utilisée par l'industrie et au Canada (150 ppb - limite imposée par le gouvernement dont la SAQ), un certain nombre de spiritueux qui atteint et dépasse ces limites est renvoyé à l'expéditeur ou bien détruit.
* exprimé en ppb : parties par milliard
Ainsi pour comprendre l'enjeu du carbamate d'éthyle dans les spiritueux, il est nécessaire de se poser les questions suivantes : comment se forme-t-il ? Quels sont les précurseurs ? Comment diminuer sa formation ?
Quelles sont les conditions de sa formation ?
Le CE se forme lorsque l'on chauffe à la fois l'urée produite par les levures et l'éthanol, un élément incontournable dans notre industrie. Nous obtenons ainsi du carbamate d'éthyle : CO (NH2) 2 + C2H5OH + Chaleur CH3CH2OCNH2.
Ce sont les levures qui produisent de l'urée via le métabolisme des acides aminés : l'acide aminé arginine est décomposée en ornithine et en urée (voir schéma ci-dessous). L'enzyme responsable de ce processus est codée par le gène CAR1. En effet, lorsque ce gène est éliminé, la production d'urée diminue. D'où la tentation de modifier génétiquement des levures = OGM...
Mais il n'est pas si simple de réduire systématiquement le CE lors de la production de spiritueux. La première raison est que le gène CAR1 n'agit pas pour toutes les enzymes qui interviennent dans la production d'urée. Deuxièmement, l'utilisation d'une levure génétiquement modifiée est risquée car on ne connaît pas les effets à long terme des OGM sur la santé. De plus, cela ne va pas dans le sens de la recherche d'authenticité, de la sécurité alimentaire et du développement durable souhaité par les consommateurs de 2020. Enfin, l'urée n'est qu'un des multiples précurseurs du CE.
Alors pour mieux comprendre ce qui est en jeu dans le rhum, allons voir du côté du whisky, des eaux-de-vie de fruits et de l'Armagnac, là où les premières études furent menées pour réduire les précurseurs qui conduisent à la production de CE.
Premières tentatives pour maîtriser l'apparition du carbamate d'éthyle (1980-1990)
A) Du côté du whisky en Ecosse : l'article "Ethyl Carbamat in fonction in grain based spirits" publié dans le Journal of the Institude of Brewing par Mc Kenzie (1990) met en avant les travaux de R. Cook qui permettent d'identifier l'action du cyanure dans le whisky.
Dans l'orge, le précurseur principal est un nitrile glycosidique (GN) appelé épihétérodentrine (EPH). L'EPH appartient à une famille de composés appelés glycosides cyanogènes, un sucre (glycoside) attaché à un composé à base de cyanure (cyanogène). L'EPH est convertie par voie enzymatique en cyanure dans un processus en deux étapes. Tout d'abord, une β-glucosidase (naturellement présente dans le grain) clive le composant glucoside et laisse l'isobutyraldéhyde cyanohydrine (IBAC). Le cyanure apparaît lorsque l'IBAC est confrontée à la chaleur de la fermentation ou de la distillation.
En conséquence, l'industrie du scotch whisky sélectionne les variétés d'orge et de malt avec moins d'EPH pour limiter l'existence de précurseurs.
B) Eaux-de-vie de fruits à noyaux : les distillateurs d'Allemagne ou d'Alsace sont habitués à gérer le risque du cyanure et le règlement européen 2016/22 régit la distillation de ces eaux-de-vie. Car les noyaux de ces fruits contiennent un composé appelé amygdaline, lui-même autrefois considéré comme un remède contre le cancer. L'amygdaline peut être décomposée pendant la fermentation en glucose benzaldéhyde. Puisque l'amygdaline est contenue dans les noyaux, ceux-ci ne doivent surtout pas être brisés pour que la réaction ne se produise (on tolère 5% maximum de noyaux brisés).
De même, la teneur en CE augmente au cours du vieillissement alors qu'elle reste stable dans les eaux-de-vie de vin...Il importe donc de vérifier les niveaux de CE dans le temps, ceux-ci variant selon la quantité de précurseurs présents et les conditions de stockage après distillation.
C) Eaux-de-vie de vin : Le professeur Bertrand est l'initiateur de recherches importantes pour le compte du BNIA à Eauze car l'Armagnac est confronté à des teneurs en CE importantes.
L' alambic en cuivre sert de catalyseur lors de la distillation en continue alors qu'une double distillation va permettre de rectifier les précurseurs et de diviser par 4 la teneur en CE. Il arrive à la conclusion qu'il faut traiter les précurseurs le plus rapidement possible avant qu'ils ne se transforment, dès la sortie d'alambic avec des résines. Car il se forme déjà au bout de 15mn pour atteindre un pic après 48h et on ne peut traiter le CE déjà formé ("Elimination du précurseur du carbamate d'éthyle dans les eaux-de-vie de vin" de Bertrand A., Bertschk , Segur M.C, Institut d’Œnologie, Université de Bordeaux II, 1988)
Comment limiter l'émergence du carbamate d'éthyle dans le rhum et la cachaça ?
La canne à sucre possède un certain nombre de glycosides cyanogènes qui entrent dans le jus pressé. Lors d'une vaste étude menée en 2007 au Brésil, les comparaisons des niveaux de CE dans plus de 500 échantillons de cachaça ont montré une contamination moyenne de 380 ppb et avec des pics à plus de 12000 ppb, largement au-dessus de la limite fédérale de 210 ppb imposée par le Brésil. De même, certaines régions sont plus concernées que d'autres. ("Assessment of Ethyl Carbamate Contamination in Cachaça", MDPI, 2016).
Par ailleurs le pays a relevé cette limite de 150ppb à 210ppb en 2014, ce qui démontre la difficulté à maîtriser la production et peut freiner l'exportation de la cachaça. A moins que les autres pays ne relèvent les limites eux-aussi...
Ainsi les travaux réalisés au Brésil et aux Antilles témoignent l'importance du terroir et des variétés de cannes employées. Ainsi que du type d'alambic, ceux en colonne ayant les plus hauts ratios de production de CE. Et comme pour l'armagnac, la double distillation obtient encore les meilleurs résultats.
Voici donc les domaines dans lesquels les rhumiers peuvent agir pour prévenir au mieux les dépassements de concentration de CE :
- Les variétés de cannes
- Les terroirs les plus avantageux
- Produits chimiques mis en oeuvre dans les cultures
- Les levures appropriées
- Température de fermentation
- Méthode et température de distillation
- Concentration d'alcool
- L'acidité
- Le pH
- La lumière
- Les conditions de stockage (chaleur,...)
- Le relargage potentiel de fûts d'occasion utilisés pour le vieillissement
Parfois cela ne suffit pas à maîtriser totalement la production de CE et il n'est pas rare que des maisons de rhum agricole baissent les bras, découragées par les tracasseries administratives. Elles décident finalement de ne pas exporter tous leurs produits au Canada ou aux États-Unis et de sélectionner uniquement les fûts conformes pour ces marchés...
Quelles conséquences pour la commercialisation du rhum agricole ?
Après 11 ans d'absence, une marque non française de rhum agricole est de nouveau distribuée par la SAQ au Quebec avec en complément un communiqué laconique de la SAQ expliquant le retour en grâce du spiritueux : "Il semble que le processus de fabrication ait été modifié, de sorte qu'il est désormais possible de mieux contrôler le taux de carbamate d'éthyle. L'échantillon qui nous a été présenté était conforme aux normes de Santé Canada".
Par contre d'autres marques prestigieuses ne sont toujours pas disponibles sur le marché canadien, au grand désespoir des consommateurs de spiritueux de niche.
Dans un article de Rumporter consacré au rhum au Canada, Yan Aubé donne un aperçu des complications rencontrées par les rhums agricoles français face aux rhums de mélasse, la limite de CE venant favoriser cette dernière catégorie : "Dans le but de pouvoir se conformer à cette règle, plusieurs distilleries doivent apporter des changements considérables à leurs établissements. Investissement qui est généralement trop grand pour la part du marché qu’ils ou elles obtiendront en Amérique du Nord. Ceci dit, certains réussissent à trouver la bonne voie et se faire disponible et ce, aux grands bonheurs des amateurs. Nous n’avons qu’à voir les produits de Bielle, PMG, Longueteau, Trois Rivières, La Mauny, Saint James et même Issan! Mais encore une fois, reste que les grands vainqueurs en matière de vente sont toujours les rhums de mélasse comme Captain Morgan, El Dorado, Kraken, Appleton et Plantation" (Rumporter, Yan Aubé, 25/11/2016)
En réalité, chaque distillerie qui accède au marché nord-américain doit sélectionner les rhums de son catalogue qui pourront être commercialisés en fonction des quantités de CE qu'ils contiennent. Ce qui explique la présence de trous dans les listes des produits disponibles de ces marques sur les territoires concernés. De plus, il faut veiller à ce que les lots sélectionnés par la SAQ par exemple demeurent conformes dans le temps puisque la quantité de CE peut augmenter dans le fût et que les dossiers peuvent prendre 9 mois entre le moment où l'organisme québécois analyse l'échantillon de rhum et entreprend de passer commande (Interview d'Annie des Groseillers, Rumporter, septembre 2020)
Pour autant, il reste encore une carte à jouer pour les distilleries qui éprouvent les plus grandes difficultés à maîtriser l'apparition de CE et qui ne peuvent pas engager des coûts faramineux pour expédier quelques lots de rhum agricole, même si l'ambition affichée est d'accélérer les ventes en Amérique du Nord. Ce joker s'appelle Jean-Luc Braud et il est basé dans la Spirits Valley.
L'atout Spirits Drink Consult
Face à des investissements coûteux et une législation qui pourrait être tentée de resserrer les mailles du filet, la société Spirits Drink Consult de Gensac, dirigée par l'ingénieur Jean-Luc Braud, offre une solution éprouvée et économique.
Reprenant les travaux du professeur Bertrand au début des années 2000, il réalise de nombreux tests avec des résines placées en sortie d'alambic. Les informations recueillies lui permettent d'établir un process pouvant être adapté aux conditions de productions propre à chaque distillerie, selon le type d'alambic, la quantité à distiller et le débit moyen.
De là, il est possible d'établir un protocole sur-mesure avec le maître de chai de la distillerie qui déterminera la résine appropriée et la quantité à mettre en oeuvre, directement en sortie d'alambic. Car le temps manque pour se permettre de déplacer l'alcool sur un autre site pour réaliser l'opération.
Déjà adoptée par plusieurs clients, cette technique de filtration n'altère pas les qualités gustatives du produit et intéressera également les spiritueux à base de riz fermenté asiatiques et le baijiu.
Les entreprises intéressées par la méthode de traitement contre le carbamate d'éthyle peuvent contacter directement Jean-Luc braud de Spirits Drink Consult (jlbraud@gmail.com) ou bien My Spirit Factory (myspiritfactory@gmail.com)
JÉRÔME SAVOYE
Je remercie le docteur ingénieur en chimie analytique Evelyne Chanson de EC Consulting pour ses précieux conseils prodiguées lors de la rédaction de cet article.
Contactez-nous pour tout développement de spiritueux, de packaging et des services sur-mesures pour votre entreprise basée dans la Spirits Valley (soutien dans l'organisation, contrôle qualité, rédaction de fiches produits...)