Marketing sensoriel et stratégie artistique : analyse de la bouteille 'Tequila Sunrise' du groupe de hip hop Cypress Hill.
1/ Quand stratégies marketing et artistiques se croisent pour créer une chanson iconique.
“Allways be aware of what’s around you
They wanna down you, and fuckin’ clown you
Keep your shit in order the money won’t stop
Pretty soon you will be on top”
‘Tequila Sunrise’ est un titre du groupe de hip hop Cypress Hill basé à Los Angeles et sortie en maxi single en 1998 sur les labels Ruffhouse et Columbia Records. Sur la couverture du disque, une bouteille de tequila apparaît en gros plan. A ma connaissance, cette bouteille n'est hélas jamais sortie à l'époque.
Mais quelle aurait été son apparence si elle avait vraiment vu le jour en 1998 au regards des législations mexicaines et US ?
Son design reprend les codes graphiques que Cypress Hill utilise depuis le single ‘Insane In The Brain’ (1992) et les albums ‘Black Sunday’ (1993) et ‘Temple Of The Boom’ (1995). Ce sont principalement des typographies arabisantes et hindoues ou perses avec des visuels évoquant la fête des morts au mexique ainsi que des références à la marijuana. Le noir et le vert sont dominants.
Ce sont les artistes visuels Jay Papke et Dante Ariola de l’agence Pawn Shop Press qui ont initialisés la charte graphique puis réalisés les designs iconiques de Cypress Hill pendant l’age d’or du groupe entre 1991 et 1995. Grâce à leur créativité, le groupe bénéficie d’une identité visuelle sans équivalent dans le monde du hip-hop.
Mitch Greenblat reprend ensuite le concept avec succès pour le nouvel album baptisé ‘IV’ (1998) dans lequel apparaît ‘Tequila Sunrise”. C’est à cette occasion qu’est réalisé le visuel de la bouteille qui recycle en partie celui bien connu de ‘Insane In The Brain’. Les fans ne peuvent pas se tromper, c’est bien du Cypress Hill !
Puis le groupe fait appel à un collectif d’amis, The Soul Assassins Collective pour réaliser les pochettes d’albums suivants mais avec hélas avec moins de finesse. A trop vouloir presser le citron…
2/ Analyse du design de la bouteille
Que nous montre donc la pochette du titre ‘Tequila Sunrise’ ?
Nous voyons une bouteille en verre type flask de couleur vert fumé. L’étiquette avec son fond dark black couvre presque toute la surface du verre. La typographie et le crâne sont de couleur blanche et ressortent avec finesse. Manifestement, la bouteille est couchée sur son dos à plat pour le shot photo car on remarque des bulles d’air en suspension contre l’étiquette de la face avant.
A partir du haut, on rencontre la mention ‘Soul Assassins’ en référence au collectif de chanteurs et designers dont fait partie Cypress Hill.
Les mentions suivantes indiquent ‘Cypress Hill’ puis ‘Tequila Sunrise’. Ici nous avons le choix entre trois interprétations :
- Soit c'est une référence au cocktail du même nom qui, pour rappel, comprend de la tequila (3 parts), du jus d’orange (6 parts) et du sirop de grenadine (1 part). Ce qui ne va pas car comme son nom l’indique, sa couleur va du jaune au rouge flamboyant. Or l’alcool dans la bouteille n’est pas coloré.
- Ou bien fait il référence au film éponyme (distribution : Mel Ginson, Kurt Russell et Michelle Pfeiffer) sorti en 1988 avec une intrigue amoureuse sur fond de compétition entre un policier et un ancien dealer ? Ce n'est définitivement pas le genre de Cypress Hill...
- Mieux vaut écouter les paroles pour comprendre le sens du titre : ils s‘agit d’un groupe de trafiquants de Tijuana à la frontière avec les USA qui joue son va tout et décide de développer son business de l’autre côté. Ils pactisent ensemble autour d’une tequila le matin en pensant au coup de la veille avant de traverser de nouveau la frontière pour terminer le business.
“Tequila spice, hot nice
Feeling right, sipping on Jose Cuervo
Down in Tiajuana, Mexico
Thinking of the big score the night before”
D’où la référence au soleil levant (sun rise) dans le titre.
- Une autre interprétation est également proposée par la chanson qui fait cette fois-ci référence aux yeux injectés de sang par analogie avec le soleil et la couleur rouge :
"Tequila Sunrise, bloodshot eyes"
Dans tous les cas, on ne peut associer la dénomination 'tequila' avec le terme 'sunrise' sur la même ligne si il s'avère qu'il s'agit seulement d'une tequila. Le TTB qui valide les informations portées sur les étiquettes avant toute commercialisation sur le territoire US demandent de les séparer afin de ne pas entretenir la confusion.
120 proof / 60% : ce n’est définitivement pas un cocktail de tequila sunrise qui serait plutôt aux alentours de 15% d’alcool mais une tequila pure. A noter que le spiritueux mexicain se situe normalement entre 38% et 55% et que pour atteindre un maximum de 55% on doit procéder à une double distillation.
Product Of Los Angeles : cette mention n'est pas autorisée par la législation mexicaine qui impose la production sur son territoire.
750ml : manifestement, cette flask ne fait pas 750ml de contenance, contrairement à ce que mentionne l'étiquette. Car cette dernière recouvre entièrement la surface du verre et parce que les flask sont généralement de dimensions plus petites (environ 200 à 375ml)
3/ Une démarche artistique et marketing qui s'arrête à mi-chemin.
Au final, si cette bouteille existait, elle serait différente de celle que nous voyons sur la couverture du disque du fait des législations US et mexicaine. Mais nul doute que d’un point de vue marketing, l’effet aurait été dévastateur quand on connaît l’attachement des fans de hip hop à Cypress Hill et à son identité graphique. Il est dommage que Columbia Records n'ait pas envisagé de faire appel au marketing sensoriel en utilisant le visuel du disque pour créer une édition limitée de cette bouteille.
Quand à la dénomination ‘Tequila Sunrise’, elle peut prêter à confusion car elle ne fait absolument pas référence au cocktail du même nom mais au soleil qui se lève au petit matin d'un jour crucial pour le business des protagonistes de la chanson.
“Tequila Sunrise, bloodshot eyes
Realize we're all born to die
So get the money nigga!
Tequila Sunrise, bloodshot eyes
Realize we're all born to die
So get the money nigga!”
Et les membres de Cypress Hill de rappeler lors des interviews que leurs compositions sont toujours tirées de leurs expériences...
4/ Bonus :
Il n'est jamais trop tard pour valoriser son héritage artistique comme pour le vieillissement d'un bon vin.
A l'occasion des 20 ans de la chansons (2018), Puma, Killa Villa & Cypress Hill collaborent pour créer un tee shirt de foot en édition limitée et reprenant les paroles de la chanson.
Remarquez la présence du gusano sur le logo, qui est le petit ver qu'on retrouve au fond des bouteilles de mezcal, le petit frère de la tequila.
Par ailleurs Cypress Hill fait référence au mezcal à deux reprises dans le texte :
"Word up, Tequila style
Eat the worm motherfucker
Tequila spice, hot nice"
Puis plus loin :
"You got that? Give me a cup, I took a swig
The bitter taste of the 'mezcal', free worm shit"
Pour comprendre la relation entre tequila et mezcal, retrouvez l'article de la spécialiste des spiritueux mexicains Martha Murguia de Bleu Agave ici :