Résilience des entreprises : Inner Circle, un exemple d’intelligence des situations extrait de l'industrie musicale.
Facteur chance ou résilience ?
Inner Circle est un groupe de reggae formé en 1968 par les frères Roger & Ian Lewis, rejoints par Touter Harvey en 1976. J'ai eu l'honneur de travailler avec eux en 2012-2013 pour la mise au point d'un show. En 2018, le groupe fête ses 50 ans de carrière et continue de tourner intensivement.
Pourtant, cette formation a été déclarée morte à plusieurs reprises au court de son histoire.
A l’heure où les soubresauts géopolitiques, économiques et sanitaires imposent aux entreprises de naviguer à vue, il est bienvenu de partager les secrets de longévité de ce groupe et de mettre en perspective son histoire avec l’analyse que fait MJ De Marco du ‘facteur chance’ dans son dernier ouvrage ‘Non Au Script’ (Editions Contre-Dires, 2020)
D'après lui, le principe de processus (choisir, agir et recommencer) et l’action de déplacer les probabilités en modifiant son comportement pour attirer la chance permettent de modifier notre propre univers.
Partie I : ne pas renoncer
Inner Circle commence par animer des fêtes d’anniversaires et des kermesses puis les premiers contrats de clubs, hôtels huppés et restaurants chics arrivent. Progressivement le groupe se professionnalise en accueillant de nouveaux musiciens plus confirmés pour devenir l’un des live band les plus en vue de la Jamaïque.
C’est une entreprise à part entière avec un manager, un chauffeur et du personnel pour la logistique. Son modèle économique est alors celui du groupe qui interprète les tubes du top 50.
Il devient également un backing band réputé en jouant pour les plus grandes stars de cette époque, dont Bob Marley & The Wailers.
Mais en juin 1973 la majorité des musiciens est lassée de jouer la musique des autres et part brusquement en créant le fameux groupe Third Word. Cela à un mois d’un festival organisé à New York pour lequel Inner Circle est engagé afin d’accompagner les tous chanteurs invités ! Il faut donc emprunter en urgence des musiciens aux groupes concurrents et répéter pour être au top. Ce que les frères Lewis accomplissent avec succès en un temps record.
De retour à Kingston, il faut repartir de zéro et regagner la confiance des clients. Un nouveau line up se reforme et on embauche un jeune chanteur de la rue qui peine à percer : Jacob Miller.
Partie II : savoir sortir de sa zone de confort
Inner Circle reprend son business en chantant pour les touristes et les fêtes privées alors qu’en parallèle, Jacob Miller mène une carrière solo dans un registre plus roots. Le statu quo perdure jusqu’à ce que tout ce beau monde s’envole en juillet 1975 pour San Francisco.
Inner Circle doit jouer pour les plus grands artistes jamaïcains invités lors d’un festival. A l’issue des 3 jours de concerts, les artistes retournent chez eux sauf le groupe qui n'est pas payé. Les frères Lewis et Jacob Miller sont condamnés à jouer dans des bars et des restaurants pour payer leur billet retour.
Mais cette fois ci, il faut faire le show ! Ils réalisent qu’ils peuvent créer leur propre musique en miser sur le talent de Jacob Miller pour en faire une star. Ils rencontrent également les Rolling Stones ainsi que les boss de Capitole Records qui les signent sur le label.
Partie III : voir les choses positivement pour agir en fonction de cette interprétation
De retour à Kingston, Inner Circle change de business model et arrête de démarcher ses clients traditionnels pour s’inscrire dans un reggae roots émergeant au niveau mondial.
Or l’argent ne rentre plus dans les caisses et les premiers titres ne suffisent pas à payer les factures. Les voisins de leur quartier huppé constatent que le groupe n’a plus de travail et la rumeur court qu’ils ne peuvent rester car incapables de payer le loyer.
De cette urgence va naître le plus gros succès de Jacob Miller & Inner Circle : ‘Tenement Yard’, un titre qui relate cette période difficile mais au final très créative. Car Jacob Miller est quelqu’un de fondamentalement positif, il n’est jamais affecté par les évènements. Et les frères Lewis lui offrent un support musical illimité lui permettant de s’exprimer. Cette alchimie va tout renverser.
Partie IV : tirer des leçons du succès et de l’adversité
Inner Circle et Jacob Miller deviennent les artistes les plus populaires à la Jamaïque grâce à une série de titres imparables et ils entament une tournée à l'étranger pour Capitol Records. Hélas le label ne connaît rien au reggae et ne sait que faire du groupe qui se retrouve à jouer dans des festivals de country ou de hard rock. Mais leur professionnalisme et leur sens du spectacle acquis lors des animations de fêtes privés ou dans les clubs leurs permettent de convertir n'importe quel public à leur cause.
Puis ils connaissent une période de gloire internationale avec la signature chez Island Records. Ils semblent intouchables, créent leur label et envisage de monter leur propre studio. Jacob Miller devient un ami très proche de Bob Marley. En mars 1980, ils partent ensemble au Brésil et envisagent même une tournée commune...
Malheureusement 3 jours après leur retour, Jacob Miller meurt dans un accident de voiture. Pour Inner Circle, c’est la fin de la partie et personne ne voit comment le groupe pourrait s’en relever.
Il tente de revenir en vain et les années passent. Plus aucun label d’envergure n’accepte les démos. L’argent manque, tout s’écroule progressivement et la créativité n’est pas au rendez-vous. Pourtant on s’accroche et explore de nouvelles idées dont certaines sont mises de côté comme le titre ‘Bad Boy’ écrit en 1983. Mais rien n'y fait, les nouveaux albums sont constamment refusés par les labels.
Partie V : déplacer la probabilité en sa faveur pour obtenir de la chance
Ne pouvant financer des sessions de studio, Inner Circle achète une vieille table de mixage pour enregistrer dans un entrepôt. Celle-ci est pourtant endommagée par la suie à cause d'un incendie. Finalement, à force de persuasion, un album baptisé ‘One Way’ sort en 1987. Ne sachant que faire de la chanson, ‘Bad Boy’ est placé à la fin du disque qui connaît un petit succès d’estime.
Peu après, l’employé d’une émission de télé réalitée en cours de création donne la cassette de l’album au producteur. Ce dernier adore ‘Bad Boy’ qui devient le générique de l’émission ‘Cops’, la plus regardée des USA !
‘Bad Boy’ se vend à des millions d’exemplaires et le nouvel album qui sort chez Atlantic Records obtient un grammy en 1993. Le titre donne même son nom au film éponyme de Will Smith et Martin Lawrence (1995).
Entre-temps, un autre titre baptisé ‘Make U Sweat’ sort confidentiellement. Il est finalement remixé par des DJ suedois travaillant pour la branche nordique de la Warner et le groupe Ace Of Base. Cette version trouve un retentissement international et vient offrir un second succès planétaire au groupe sous le nom de ‘Sweat A La La Long’.
Partie VI : Suivre son intuition en tant que signal d’alarme
Inner Circle gagne des millions de dollars mais ne dépense pas l’argent. Les frères Lewis & Touter Harvey savent ce que c’est que de tout perdre.
Ils investissent plutôt dans une grande villa de Miami qu’ils transforment en studios d’enregistrement. Ce complexe devient l’un des plus côtés de Floride dans les années 2000 et tous les plus grands artistes viennent profiter des installations : Lady Gaga, Pharell Williams et Damian Marley parmi tant d’autres…
Avec du recul, on peut affirmer que la capacité de résilience comprend une part de facteur chance si on considère que celle-ci est dépendante de nos actions.
Selon JM DeMarco, il faut modifier son comportement sur plusieurs fronts : prendre les habitudes comportementales qui déterminent notre univers (décider de s'enrichir, se former, se cultiver relèvent de choix), agir pour déplacer les probabilités, modifier la routine, choisir de voir les choses positivement et ne pas ignorer ses intuitions.
Et de citer le travail du psychologue Steve Wiseman qui a étudié la chance pendant de nombreuses années et conclu ainsi : notre comportement peut modifier la chance si nous imitons les caractéristiques des gens qui ont de la chance tout en éliminant celles des malchanceux.
Jérôme Savoye